La reine des pleurs – « J’ai eu si peur »

Ce que j’aime bien avec les k-dramas, c’est qu’ils sont souvent vraiment bien réalisés et bien montés. Pour preuve, cette scène extraite de la “Reine des pleurs”. C’est la dernière scène de l’épisode 4. Une scène clef de la série. 

Scénaristiquement, c’est un tournant pour les deux personnages principaux : Hong Hae-in, incarnée par Kim Ji-won et Baek Hyun-woo, joué par Kim Soo-hyun.
Elle est une femme forte à la tête d’un grand magasin, lui est le directeur juridique de l’enseigne. Ils sont mariés, mais se sont éloignés. Elle vient d’apprendre qu’il ne lui reste que trois mois à vivre, une tumeur au cerveau non opérable a été détectée. Lui voulait divorcer, mais en apprenant la nouvelle, ne lui a rien dit.

Elle continue son chemin comme si de rien n’était, menant son personnel à la baguette, délaissant son mari. Lui la craint et l’évite, il ne veut pas se confronter à elle. Mais depuis l’annonce de sa maladie, il se pose des questions surtout depuis qu’il sait qu’elle l’a pas mis sur son testament.

Cette scène est un moment clef de l’histoire, au moins pour sa partie romantique. Après être venue à la campagne pour aider le père de Baek Hyun-woo lors de la campagne électorale municipale, on voit Hae-in quitter la foule et disparaître. Lorsque Ji-won arrive, il la cherche, personne ne sait où elle est. Il enfourche un vélo et la recherche à travers champs.

Réalisateur : Jang Young-woo
Scénariste : Park Ji-eun
Sociétés de production : Studio Dragon et Culture Depot

Notre scène commence ici et dure un peu moins de 5 minutes

C’est la fin de la journée, la nuit arrive. On la retrouve, floue puis nette. Ce n’est pas Hae-in qu’on connaît, toujours tirée à quatre épingle, sûre d’elle-même. Elle marche seule sur la route, son regard est absent, ses vêtements sont tâchés de terre.
Au loin elle voit une lumière de phare et sur le plan suivant on voit Ji-won arriver. C’est une scène tout en regard point de vue, elle regarde, elle voit ce que l’on voit. Ici une tache lumineuse en mouvement.
Toute la séquence va jouer sur ce type de fonctionnement, il ou elle regarde, on voit ce qu’il ou elle regarde. Mais à l’image, il peut y avoir des flous, des cadres basculés, des gros plans qui bougent qui nous amènent à ressentir l’état psychique des personnages.

Elle n’a aucune émotion en le voyant.
Un plan large montre qu’ils sont nulle part, que la nuit est tombée sur eux (au propre comme au figuré). Puis on se rapproche d’eux petit à petit, mais les plans sont bizarrement cadrés, il y a un malaise.
Lui semble furieux, lui qui d’habitude évite la confrontation, l’interroge avec vigueur. Ce n’est pas l’Hae-in que l’on connaît, elle semble perdue, tente de lui répondre mais n’argumente pas. Une discussion de gros plan à gros plan. Cependant, elle reste de marbre lui envoyant à la figure “Je ne suis pas une malade”. Dès lors, il sait qu’elle ne baissera pas les armes et choisit le repli. Les plans s’élargissent. Alors que les gros plans donnaient l’impression d’une discussion proche, les plans plus larges accroissent la distance entre eux. 

Cette scène symbolise visuellement la fracture émotionnelle entre Hae-in et Hyun-woo. Le jeu sur les perspectives et les distances illustre la profondeur de leur désaccord et leur isolement réciproque.

Ji-won refuse le mensonge de leur discussion et lui tourne le dos, puis s’éloigne (plan large). Le regard de Hae-in sur lui est un close-up. Le dénouement viendra d’elle…
Et le temps s’arrête, les lumières artificielles viennent rompre la nuit et les plans qui montrent Ji-won s’éloigner s’étirent comme s’ il faisait du surplace. Raccord point de vue, sur des détails, son col, sa manche, sa nuque. Il part.

Le choix de mettre en avant des détails tels que le sol, la lumière des réverbères, ou encore des éléments de costume (son col, sa manche, son pantalon taché) donne au spectateur l’impression d’une intimité fragmentée, révélant ainsi l’état d’esprit des personnages. La manière dont les plans se déplacent de gros plans intimes à des plans larges, accentuant la solitude et la tension, renforce l’aspect dramatique de la scène.
L’utilisation de la lumière et des ombres symbolise la lutte de Hae-in avec sa propre vulnérabilité, son déni de la maladie, et la distance émotionnelle entre elle et Hyun-woo. Cette scène met en avant la complexité des émotions des personnages, entre confrontation et vulnérabilité, et fait écho à leur relation, où chaque geste et chaque regard reflète leurs dilemmes intérieurs.

Elle finit par lui parler : “En fait, je…”Un moment d’indécision : Ji-won se retourne mais les deux personnages ne sont jamais nets en même temps, puis c’est à son tour de la regarder : ses pieds et son pantalons tâché, sa blessure à la jambe, son poing serré, sa bouche, alors qu’elle explique ce qui lui est arrivé, son regard à lui redevient humain. Les gros plans sont de mise. Et le jeu de Kim Ji-won est plein de justesse et de sensibilité, elle vient de prendre conscience de sa maladie.

A noter ici, que le sens du regard des deux personnages est dans le même sens. Ils ne se regardent donc pas. C’est quand elle lui avoue sa peur, que les regards se lèvent, lui puis elle.

Le contact revient définitivement quand il regarde sa bouche. Le gros très gros plan qui suit le confirme, de même que ce qui suit.
Ji-won, qui ne savait plus sur quel pied danser, prend aussi conscience qu’elle est celle qu’il a aimé et qu’il aime encore. On est sur de vrais sentiments, les masques sont tombés. Ce sont toujours des gros plans, de très gros plans, mais les plans sont instables, comme chargés d’émotions.
L’instabilité des gros plans accentue aussi la montée des émotions, montrant que, malgré leurs barrières, ils sont toujours connectés par un amour sous-jacent, où aucun mot n’est prononcé, mais où chaque regard et silence dit tout.

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