
« Mr. Sunshine » est une fresque historique coréenne magistrale qui se déroule à la toute fin de l’époque Joseon, au tournant du XXe siècle, une période où la Corée, encore royaume fragile, devient l’enjeu des ambitions coloniales des puissances étrangères telles que le Japon, les États-Unis et la Russie.
La série suit le destin tourmenté de Choi Yoo-jin, un jeune garçon né esclave, témoin dans son enfance de la mort de ses parents dûe à la noblesse corrompue. Fuyant la Corée après le drame, il trouve refuge aux États-Unis où il devient soldat des Marines américains. Des années plus tard, il revient à Hanseong (aujourd’hui Séoul) en tant qu’officier américain, étranger dans sa propre terre, porteur de rancunes mais aussi d’un regard détaché sur son pays en pleine mutation.
Dans ce décor de fin d’ère féodale, la série brosse le tableau de la lutte des classes : les aristocrates yangban s’accrochent à leurs privilèges, méprisant les roturiers et les esclaves affranchis, tandis que la population, broyée entre taxes abusives, banditisme et corruption, rêve d’une Corée nouvelle.
La modernisation s’invite à travers le chemin de fer, les journaux, les écoles pour jeunes filles, le télégraphe et les costumes occidentaux qui côtoient encore les hanbok traditionnels, signe d’un pays tiraillé entre passé et avenir.
Le pouvoir royal, sous le roi Gojong, vacille entre fierté nationaliste et soumission contrainte, laissant la cour devenir le théâtre d’intrigues internes et d’ingérences étrangères qui se mêlent sans cesse.

Parmi les personnages clés, Go Ae-shin, jeune noble élevée dans l’idéalisme patriote, incarne l’esprit résistant d’une classe aristocratique éclairée. Son engagement pour l’indépendance l’amène à croiser la route de Yoo-jin, dont elle tombe amoureuse malgré la barrière sociale et l’incompatibilité de leurs origines et de leurs appartenances.
Autour d’eux gravitent Gu Dong-mae, fils de boucher devenu sabreur impitoyable au service des Japonais, Kim Hee-sung, fiancé officiel d’Ae-shin, dilettante revenu d’exil qui se transforme peu à peu en intellectuel engagé, et Kudo Hina, veuve influente et propriétaire d’un hôtel, femme libre naviguant dans ce monde de faux-semblants.

Les amours impossibles constituent le fil rouge du récit : le couple formé par Yoo-jin et Ae-shin est condamné par leur loyauté respective et la violence de l’époque. Chacun aime l’autre avec une pureté rare, mais la patrie, le devoir et la lutte contre l’occupation prennent toujours le pas sur leur bonheur personnel. À travers leurs destins brisés, la série explore la solitude des héros sacrifiés sur l’autel de l’histoire.
« Mr. Sunshine » est aussi un hommage à ces figures anonymes qui, par leurs actes de bravoure, souvent tués dans l’ombre, ont semé les graines de l’indépendance future. Dans cette atmosphère crépusculaire, le drame conjugue la beauté visuelle des paysages coréens, la poésie de la langue, la cruauté des trahisons et l’éclat de moments de tendresse. La mort y est omniprésente, comme un rappel que la naissance d’une nation moderne exige la perte irréversible de l’ancienne et le sacrifice des plus sincères. Plus qu’un simple mélodrame historique, « Mr. Sunshine » est un requiem pour une époque disparue et un chant d’amour pour un pays qui, malgré toutes les déchirures, a su renaître de ses cendres.

Les comédiens
- Lee Byung-hun interprète Choi Yoo-jin, le petit esclave devenu officier américain, un rôle subtil et nuancé qui révèle toute la douleur d’un homme tiraillé entre vengeance, devoir et amour impossible.
- Kim Tae-ri prête son visage à Go Ae-shin, noble patriote farouche et idéaliste, qu’elle rend à la fois forte et vulnérable.
- Yoo Yeon-seok campe Gu Dong-mae, le sabreur impitoyable mais tragique, qu’il façonne comme un anti-héros au charisme magnétique.
- Byun Yo-han joue Kim Hee-sung, le fiancé dilettante devenu journaliste engagé, qu’il interprète avec un mélange de nonchalance, de tendresse et de mélancolie.
- Kim Min-jung incarne Kudo Hina, la propriétaire de l’hôtel Glory, femme libre et insaisissable, personnage à la fois charmeur, ironique et bouleversant.
- Jo Woo-jin est l’attachant Im Gwan-soo, secrétaire maladroit mais loyal au service de Yoo-jin.
- Kim Byung-chul en I Seung-jin, figure ambiguë de l’entourage royal
- Im Gwan-soo, interprété par Jo Woo-jin, est le fidèle subordonné de Choi Yoo-jin, maladroit mais courageux, souvent source d’humour et de réconfort, tout en prouvant à plusieurs reprises une loyauté sans faille.
- Hwang Eun-san, le maître tireur incarné par Shin Jung-geun, dirige en secret les insurgés patriotes. Il agit comme un père de substitution pour Ae-shin, la formant au maniement des armes tout en veillant sur elle avec une tendresse bourrue.
- Yang Hwa-young, la domestique d’Ae-shin interprétée par Seo Yoo-jung, joue un rôle touchant dans la vie de la jeune noble : elle est sa confidente, celle qui comprend avant tout le monde la gravité de ses choix et la solitude que cela implique pour une femme de sa condition.
- Lee Wan-ik, interprété par Kim Eui-sung, est l’un des antagonistes principaux : traître notoire, bureaucrate cupide et sans scrupule, il collabore avec les Japonais pour asseoir sa propre puissance. Son personnage concentre toute la corruption et la duplicité d’une élite qui sacrifie son pays pour ses intérêts personnels.

Un destin commun
L’un des aspects les plus poignants de Mr. Sunshine est la lente et douloureuse évolution de ces personnages que rien, à première vue, ne reliait entre eux ni ne disposait à devenir des figures de la résistance.
Choi Yoo-jin, au départ, est le plus cynique : pour lui, la Corée n’est qu’un souvenir douloureux d’injustice et de trahison. Devenu soldat américain, il se cache derrière son uniforme étranger pour nier ses racines, persuadé que ce pays ne mérite ni son amour ni son sacrifice. Pourtant, son retour forcé le confronte à ses propres contradictions : malgré la colère, malgré l’exil volontaire, il reste le fils d’une terre qu’il hait mais qu’il protège, presque malgré lui, en défendant Ae-shin et en contrecarrant les manœuvres japonaises.

Gu Dong-mae, né paria dans une société de castes rigides, a trouvé sa place dans la violence au service de l’envahisseur. Il n’a aucune loyauté envers la Corée qui l’a piétiné, seulement une fidélité trouble à la jeune noble qu’est Ae-shin, qu’il aime à sa manière et sans espoir. Plus qu’un traître, il est l’enfant bâtard du système féodal : s’il tue pour le Japon, c’est aussi pour se venger de ceux qui l’ont rejeté. Mais au contact de ses anciens bourreaux et de cette femme qu’il ne peut renier, il finit par incarner une résistance brute, sans idéologie, presque animale, mais décisive.

Kim Hee-sung, lui, revient de Tokyo auréolé du prestige d’une éducation moderne. Son ironie, ses airs de dandy désabusé dissimulent longtemps son refus d’endosser la part de responsabilité de sa famille de grands propriétaires. Il incarne cette noblesse instruite mais inutile, figée dans les convenances alors que le monde bascule. Pourtant, peu à peu, il se déleste de son confort et de sa lâcheté. En renonçant à Ae-shin qu’il aime pourtant sincèrement, en rejoignant la presse pour dénoncer les collusions et rallier les cœurs, il se transforme en intellectuel prêt à mourir pour la liberté.

Go Ae-shin est peut-être la plus pure au départ, engagée dès le début dans la lutte contre l’oppression. Mais son idéalisme est au service d’une vision encore féodale : elle se bat pour son clan, pour préserver une noblesse qu’elle croit protectrice du peuple, sans saisir d’abord que le combat ne doit pas être mené pour quelques familles mais pour tout un peuple. Son éveil à cette réalité, grâce à Yoo-jin et aux sacrifices des autres, la rend plus radicale, plus déterminée à lutter pour une nation et non plus pour une lignée.

Kudo Hina est la plus insaisissable. Héritière d’un père tyrannique lié aux Japonais, éduquée pour manipuler et espionner, elle tient d’abord son hôtel comme un théâtre où elle se joue de tous. Mais sous ses manières légères se cache une femme qui refuse d’être l’outil de quiconque. Sa trajectoire est celle d’une émancipation : se libérer du joug paternel, choisir son propre camp et, par amour autant que par orgueil, contribuer à protéger ceux qu’elle juge dignes de sauver. Elle meurt pour un idéal qu’elle avait d’abord refusé d’adopter.

Tous ces personnages, qui au début n’ont en commun que leurs blessures, convergent vers une cause qu’ils n’avaient jamais juré de défendre : une Corée libre, moderne, délivrée de la tyrannie des puissances étrangères mais aussi de ses propres injustices internes. Leur sacrifice collectif dessine en creux le portrait d’une nation qui, avant même d’être arrachée aux griffes étrangères, doit d’abord être purifiée de ses propres corruptions et renoncements. Ainsi, Mr. Sunshine réussit ce tour de force : transformer des âmes déracinées, marginales ou cyniques, en héros tragiques d’une épopée nationale, rappelant que l’idée même de patrie peut naître dans le cœur de ceux qui, un jour, l’avaient reniée.

Comment la série a-t-elle été perçue ?
Mr. Sunshine a été accueillie avec un engouement exceptionnel, tant en Corée du Sud qu’à l’international. Dès sa diffusion en 2018 sur tvN et Netflix, elle s’est imposée comme l’un des dramas les plus coûteux mais aussi les plus ambitieux de son époque, une œuvre à la fois spectaculaire et intimement bouleversante.
Le public coréen a salué sa reconstitution historique d’une rare richesse visuelle : les décors somptueux de Hanseong à l’aube de la modernité, les costumes mêlant traditions et influences occidentales, les scènes d’action chorégraphiées avec une précision presque cinématographique. Beaucoup ont vu dans cette série une fresque patriotique élégante, rendant hommage à une période souvent douloureuse, celle où la Corée a perdu sa souveraineté mais a forgé en secret les prémices de son identité moderne.
Les téléspectateurs ont été particulièrement touchés par la qualité de l’écriture de Kim Eun-sook, déjà célèbre pour des dramas à succès comme Goblin et Descendants of the Sun, mais qui ici s’est aventurée sur un terrain plus sombre et plus adulte, en assumant un ton mélancolique et une fin tragique qui tranche avec la tendance plus légère de ses œuvres précédentes.

Les performances des acteurs ont également fait l’unanimité. Lee Byung-hun, star internationale, a été salué pour sa capacité à incarner la douleur et la noblesse de Yoo-jin sans jamais tomber dans l’excès. Kim Tae-ri, encore jeune actrice à l’époque, a confirmé son statut de révélation. Yoo Yeon-seok, Byun Yo-han et Kim Min-jung ont reçu les éloges du public pour avoir donné à leurs personnages secondaires une profondeur égale à celle du couple principal.

Sur le plan des audiences, Mr. Sunshine a réalisé des scores élevés pour une chaîne câblée, se classant parmi les dramas les plus vus de tvN à l’époque. Mais au-delà des chiffres, c’est surtout l’impact culturel qui a marqué : beaucoup de spectateurs ont redécouvert une page d’histoire douloureuse parfois négligée dans les manuels, et le drama a suscité un regain d’intérêt pour la figure des patriotes anonymes de la fin de Joseon. À l’international, grâce à Netflix, la série a conquis un public non coréen, impressionné par la mise en scène de cette époque peu représentée à l’écran, par la densité des personnages et par la poésie visuelle qui, malgré la barrière linguistique, transcende les frontières.
Enfin, quelques critiques ont noté que la série pouvait parfois idéaliser ou romancer certains aspects historiques, et certains historiens ont débattu du traitement de certaines figures ou du rôle réel des puissances étrangères. Mais dans l’ensemble, Mr. Sunshine reste considéré comme l’un des exemples les plus aboutis du « fusion sageuk » moderne, mêlant romance, patriotisme et tragédie personnelle à un spectacle visuel de premier ordre, et pour beaucoup, c’est une œuvre qui a marqué une génération de téléspectateurs.

Et la France dans cette épopée
Dans Mr. Sunshine, la France occupe une place singulière, à la fois douce et perfide, un reflet de l’image ambiguë que les puissances occidentales projetaient sur la Corée de la fin du XIXe siècle. D’un côté, elle apparaît comme une incarnation de l’élégance, du raffinement, de la modernité culturelle que la noblesse coréenne admire et convoite : les pâtisseries françaises, les sucreries raffinées, le vin, les tenues européennes, tout cela symbolise une ouverture vers un monde plus « civilisé », plus sophistiqué que la Cour de Joseon. Ces détails gastronomiques et vestimentaires sont autant de marqueurs qui montrent à quel point une partie de l’élite coréenne rêve de s’approprier le style de vie occidental, parfois naïvement, sans toujours saisir les implications politiques derrière ces séductions exotiques.

Mais la France, dans la série, ne se limite pas à une fantaisie culinaire ou vestimentaire : elle représente aussi le visage hypocrite de l’impérialisme voilé. Le personnage du diplomate français illustre parfaitement cette duplicité : homme de belles manières, séducteur polyglotte, il cache derrière ses attentions galantes un cynisme froid. Il séduit des jeunes femmes coréennes ou métissées, les forme à l’escrime — un art noble en Europe — mais profite de ces instants et les façonne en instruments dociles pour ses propres réseaux d’influence. La figure de Kudo Hina porte la trace de cette manipulation : elle est l’élève, la complice, puis la rebelle qui se retourne contre la main qui l’a éduquée et asservie. L’escrime, loin d’être un simple sport de salon, devient pour ces femmes un outil de survie et de vengeance dans un monde où la domination masculine et coloniale se superposent.
Cette double image — la France des douceurs raffinées et celle du pouvoir tentaculaire — s’inscrit parfaitement dans le propos plus large de Mr. Sunshine : rappeler que la modernité importée n’est jamais neutre, qu’elle transporte avec elle des rapports de force et que derrière les gâteaux sucrés se cache parfois un poison politique. La série montre ainsi comment les grandes puissances, sous couvert de diplomatie, de religion ou de commerce, infiltraient un royaume déjà fragilisé, souvent en jouant de l’admiration qu’inspirait leur culture.
Dans ce contexte, la France agit moins comme une nation concrète que comme un symbole de ce paradoxe : elle attire par son lustre et sa promesse de progrès, mais chaque alliance, chaque amitié qu’elle propose est à double tranchant. Pour les personnages, et notamment pour Hina, cette ambiguïté est une cicatrice vivante qui nourrit leur désir de ne plus être des pions dans un jeu d’étrangers — qu’ils soient japonais, américains ou français. Ainsi, la présence de la France, subtile mais persistante, ajoute une nuance supplémentaire au tableau complexe de la modernisation forcée et des illusions brisées de la Corée fin-de-siècle que brosse Mr. Sunshine.

