★★★★ Dans les eaux troubles de « The Murky Stream – 탁류 »

The Murky Stream (le ruisseau trouble) décrit l’histoire et le destin de trois personnes qui vivent près de la rivière Gyeonggang, autrefois bleue, qui s’est transformée en un ruisseau trouble.

L’action se déroule à la fin du royaume de Goryeo, à l’aube de la dynastie Joseon. Dans ce moment charnière où l’ancien monde s’effondre et où un nouvel ordre cherche à s’imposer, la série prend pour cadre un petit port de commerce situé sur une rivière boueuse, symbole d’un pays à la dérive. On y vit de peu, entre pêche, transport de sel, et troc de marchandises venant du continent. Les dockers, les rameurs et les journaliers forment une population écrasée par la misère et la violence, vivant sous la coupe des guildes commerciales et des seigneurs locaux, dont l’autorité repose autant sur la corruption que sur la peur.
L’histoire suit plusieurs personnages liés par ce port : Choi Eun (Shin Ye-eun), fille d’un marchand disparu, qui tente de reprendre l’affaire de son père et d’obtenir une place à la table des guildes ; Jang Si-yool (Rowoon), contremaître taciturne qui cache son passé de soldat déserteur ; et Jeong-cheon (Park Seo-ham), un fonctionnaire en charge de la lutte contre la corruption.

À travers leur quotidien, la série dresse un tableau sans complaisance de l’économie pré-marchande, où tout se négocie — la cargaison, la loyauté, la survie — et où les alliances sont aussi fragiles que les embarcations de fortune sur lesquelles repose la prospérité du port. L’exploitation des travailleurs est au cœur du récit : les hommes sont épuisés à la tâche, payés en promesses, battus lorsqu’ils réclament leur dû. Les guildes contrôlent le commerce du sel et des céréales, manipulant les prix et soudoyant les fonctionnaires pour maintenir leur monopole. Dans ce monde d’hommes, une femme ne peut s’imposer qu’au prix de son intégrité ou de sa vie. Choi Eun, déterminée et lucide, refuse les compromis et se heurte à un système où le pouvoir masculin, qu’il soit économique ou politique, étouffe toute tentative d’émancipation. Son parcours devient alors celui d’une lutte solitaire pour exister dans une société qui la nie.

La série explore également la porosité entre pouvoir local et féodalité. Les seigneurs, installés dans leurs résidences sur les hauteurs, prélèvent impôts et redevances sur tout ce qui transite par le port. Derrière les bannières et les rites confucéens, The Murky Stream montre un pays miné par la corruption, où les administrateurs s’enrichissent sur la détresse du peuple et où la loi n’est qu’un instrument de domination. Deok-gae (Choi Young-woo), Lee Dol-gae (Choi Gwi-hwa) et Park Mu-Deok (Park Ji-hawn) incarnent, chacun à son niveau, les hommes corrompus de ce pouvoir agonisant, incapable de percevoir les prémices de la révolte. Pourtant, sous la surface, la colère gronde. Des rumeurs de soulèvement circulent parmi les dockers et les paysans, exaspérés par les impôts et la famine. Les grèves deviennent affrontements, les affrontements deviennent émeutes, jusqu’à ce qu’une véritable insurrection éclate, brutale, désorganisée mais porteuse d’espoir.

La série, d’une grande sobriété visuelle, ne cède jamais à la romance facile : les rares moments d’intimité sont traversés de pudeur, presque d’inachèvement, comme si l’amour lui-même ne pouvait éclore dans une époque de désillusion. L’accent est mis sur la solidarité, la dignité et la résistance, plus que sur les passions personnelles. La réalisation, lente et organique, capte la lumière sale du port, les visages marqués des travailleurs, la boue omniprésente qui devient métaphore d’un monde où nul n’est totalement pur.
Dans ses derniers épisodes, The Murky Stream s’ouvre sur un chaos annoncé : le port brûle, les guildes s’entre-déchirent, Choi Eun et Jang Si-yul s’éloignent l’un de l’autre, chacun son chemin. La fin, ouverte, appelle une suite : on devine que le tumulte de ce petit port n’est qu’un prélude à une révolution plus vaste, celle d’un royaume entier sur le point de basculer.

Les comédiens

  • Rowoon dans le rôle de Jang Si-yool incarne le contremaître du port, un ancien soldat devenu chef des travailleurs journaliers. Totalement transformé, il livre une performance puissante et contenue, marquée par la douleur et la culpabilité.
  • Shin Ye-eun dans le rôle de Choi Eun est la fille d’un riche marchand décédé, déterminée à reprendre le commerce familial malgré les interdits imposés aux femmes. Son jeu tout en nuances incarne la dignité, la lucidité et la révolte silencieuse d’une femme en lutte contre un monde d’hommes. Par son regard et sa détermination, elle devient le cœur moral de la série.

  • Park Seo-ham dans le rôle de Jeong-cheon est un fonctionnaire chargé de lutter contre la corruption. Il était proche de Jang Si-yool avant que ce dernier ne change de vie.
  • Park Ji-hwan dans le rôle de Mudeok est un gangster qui maintient l’ordre à Mapo Naru et fait règner sa loi par la violence.

L’interprétation de Rowoon

Dans The Murky Stream, Rowoon surprend et fascine par une transformation radicale qui le rend presque méconnaissable. Loin de ses rôles habituels de jeune premier romantique ou de héros idéaliste, il incarne ici un personnage sombre, usé par la vie, au regard éteint et au visage buriné par le labeur et les blessures. Son rôle de contremaître taciturne, ancien soldat déserteur devenu chef d’équipe sur les quais, marque un tournant majeur dans sa carrière. Il joue un homme brisé, prisonnier de ses remords, oscillant entre la soumission et la révolte, entre la peur de mourir et celle de continuer à vivre dans un monde corrompu.

Physiquement, Rowoon a accepté de se métamorphoser : teint hâlé, cheveux longs emmêlés, barbe mal taillée, démarche lourde d’un homme qui a trop porté. Son charisme demeure, mais il est enfoui sous des couches de fatigue et de rage contenue. Les critiques ont salué cette performance d’une intensité rare, où chaque silence et chaque regard semblent peser plus lourd que les mots. Son jeu se distingue par une économie de gestes, une intériorité constante, et une vulnérabilité nouvelle qui donne une humanité bouleversante à son personnage.

Ce rôle démontre sa capacité à s’affranchir de son image lisse et à s’imposer dans un registre dramatique plus âpre. Dans The Murky Stream, il ne cherche pas à séduire : il s’efface derrière la vérité du personnage, habite sa douleur, et devient le témoin silencieux d’une époque en décomposition. Méconnaissable, oui, mais surtout transfiguré — un acteur arrivé à maturité, capable de se réinventer dans un univers historique d’une noirceur poétique.

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